Un homme du monde

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On n’est pas son lieu de naissance, on n’est pas même sa naissance, on est ce que l’on décide de devenir. Et ce que l’on décide est souvent enclenché par choc.

Paul Veyne

« L’enfer c’est aujourd’hui mon amour ». C’était la fin d’une aventure étincelante.

Il aurait aimé passer avec elle encore une autre nuit, mais ne fût-ce qu’un court instant avant de la voir disparaître. Les paroles qu’il avait entendu étaient plus loin que l’horizon.  Lucien De  Nero était blessé dans l’orgueil suite l’adieu d’Océan Lagarde.

Combien connaissait-on de personnes capables de vous renvoyer votre propre lumière?  Pensa-t-il.  La femme qui l’avait rendu célèbre et amoureux venait de le quitter. Océan était sa modèle et lui son photographe.  La jeune fille était devenu une star grâce à la photo. Elle était toujours dans les premières pages des grands magazines.  Malgré cela le succès avec Lucien ne fût-ce que très bref car Océan choisit le chemin du cinéma!

Le regard de la modèle brisait le cœurs des hommes, son corps athlétique presque parfait avec sa longue chevelure brune et bouclée la rapprochait à une divinité grecque. Elle était vraiment belle. Lucien avait compris tout suite au premier rencontre qui avec elle aurait fait fortune ! Il ne pouvait pas oublier ce jour: c’était le 7 novembre 1989 à New York.
À l’époque il venait de terminer ses études de photographie. Il s’inspirait à Richard Avedon qui avait inventé l’image de mode en mouvement. Cette idée l’intriguait vachement. Pour Lucien l’image statique appartenait au passé. Océan était effectivement le puzzle manquante à la réalisation de sa réussite. Les deux se complétaient.

Pourtant Océan était jeune et elle ne pouvait pas refuser une proposition d’emploi de telle ampleur comme le  cinéma. Et si on fait un bilan de fin d’année le ’89 fut un an incroyable pour Lucien. Il connut la célébrité et il devint riche très rapidement. Malheureusement le départ de sa star l’avait poussé à se poser des questions interminables sur son avenir.  Furent-ils nombreux les réflexions,mais il y en avait une différente et assez étrange. Ce fut d’une certain façon une décision difficile à prendre, mais qui bouleversera toute sa vie: le photo-reporter.

Il se sentait un homme du monde dans le sens le plus étendu, homme de foules, un promeneur solitaire qui essayait de capter quelques images de la vie contemporaine – scènes de rue, scènes de guerre, scènes quotidiennes -, cherchant de fixer pour un instant ce qui n’était pas éphémère, dans l’espoir de dégager du temps ce qu’il pouvait contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire.

Ce fut probablement  le dégoût de l’argent, le mépris de l’hypocrisie de la société que l’avait amené à entreprendre ce choix. Soudain Lucien était prêt pour partir pour la Guerre du Golfe. Cette fois-ci fut Robert Capa à l’inspirer, un photographe qui avait passé sa vie à photo – reporter les événements belligérants. Cette fois-ci il voulait donner à l’image un relief plus profond qui affrontait des thèmes comme la survivance, la folie des soldats, l’horreur des armes et la misère noire.

Ce fut un jour comme les autres au milieu des ruines et de rien que Lucien De Nero avait trouvé la mort. Il fut touché par un projectile durant une affrontement entre deux bataillons ennemis. Il était en train de photographier la fusillade. Ce fut sa dernière photo.

A la fin de l’affrontement des soldats américains avaient amené le corps à l’ambassade pour le faire rapatrier. Pendant la marche quelqu’un d’entre eux avait trouvé dans l’anorak de Lucien un texte écrit sur un papier tout froissé. Il s’intitulait :La chanson du témoin.

Dans une nébuleuse d’amiante

Comme un silence dans le bruit

Une explosion rayonnante

 

La collision des problèmes dans les astres

Des lettres en face aux désastres

et voilà circuler la fin dans un moment:

 

On est fatigué de voir les paroles qui meurent

On est fatigué de voir que les choses ne changent pas

On est fatigué de se tenir sur ses gardes encore

de respirer l’air comme une lame à la gorge

 

Et aller à pieds nues juste où on ne sent plus la douleur

seulement pour comprendre si on sait encore marcher

 

Le monde est un corps couvert des livides

et mes pensées toujours plus vides

 

Des corps sur la route que se laissent louer

comme tables anatomiques à dévaliser

 

Le corps est parfait, le corps est immortel.

Le corps est la frontière qu’on peut violer

 

Les saints bureaucrates, sang des hypocrites

La vie est souvent une décharge des songes

que semble un film où tout est établi

Sous un ciel de gris infini

 

Et aller à pieds nues juste où on ne sent plus la douleur

seulement pour comprendre si on sait encore marcher

Les jambes pleins des livides

et les pensées toujours plus vides

 

Les corps de décharge appartiennent au journal télévisé

Les corps des diplomates en direct pour conquérir

Les son de la marche son-le encore

La mort s’habille bien quand vient dans l’heure

 

Des Crhists qui pleurent vides sans expressions

L’angoisse d’une planète qu’on peut disséquer

Coup le monde coup- le encore

Qui est riche reste vivant pendant que les pauvres meurs

 

Les saints bureaucrates, sang des hypocrites

La vie est souvent une décharge des songes

Que semble un film où tout est établi

Sous un ciel de gris infini.

Ce texte représenta aujourd’hui l’ouverture de l’expo “Aux Autres” dans la galerie “Les arts imaginaires” à Paris. Cet expo est présenté par la célèbre actrice Océan Lagarde.